Arrestation

LA MORT DE MAX JACOB
Janvier - mars 1944
Un calendrier fatidique
Patricia SUSTRAC

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Quelles sont les raisons de l’arrestation de Max Jacob ? Comment la mobilisation pour tenter de le sauver s’est–elle établie ? Quels sont les réseaux mobilisés pour agir ? Existe t-il oui ou non un ordre de libération ? Soixante-trois ans après la mort de Max Jacob les questions demeurent. Que l’on découvre l’œuvre de ce poète ou que sa fréquentation soit coutumière, le destin de cet homme retiré dans « le village forteresse » de St. Benoît qu’il refusait de quitter malgré les nombreuses sollicitations de ses amis conscients de l’étau fatal qui pouvait se refermer sur lui, questionne toujours.

Pour répondre à ces interrogations, nous avons souhaité présenter le calendrier précis de cette année 1944. Une bibliographie placée à la fin de l’article permet un renvoi du lecteur à une sélection d’ouvrages récents.

 

1. 1944 : une année sombre

Comme tous les français en ce début d’année 1944, Max Jacob partage le sentiment diffus d’une lassitude résignée et confuse où se mêlent le désir de voir se hâter la fin des tourments liés à la guerre et la crainte des événements que chacun souhaite ardemment. Les traditionnelles lettres de vœux sont assombries par l’arrestation cette fois définitive de son frère aîné Gaston arrêté à Quimper en décembre 1942 dans le jardin du Théâtre même où Jacob situait son livre « théâtre-roman » du Terrain Bouchaballe. Gaston incarcéré à la prison de Quimper fut transféré à Compiègne. Max Jacob sut qu’il était ensuite parti pour l’Allemagne sans plus de précisions. Gaston fut déporté à Auschwitz Birkenau par le convoi n° 47 le 11 février 1943. Gaston a été gazé dès son arrivée au camp.

Dans les glaces de l’hiver le plus rigoureux de l’occupation c’est au tour de Myrté-Léa la sœur « préférée » du poète d’être également arrêtée le 4 janvier 1944. Déportée au camp d’Auschwitz Birkenau par le convoi n° 66 du 20 janvier 1944 elle fut gazée dès son arrivée au camp.

Max Jacob est obsédé par l’arrestation de sa soeur. Sa correspondance abondante abrège les conseils ou les émulations poétiques pour ne laisser place qu’à l’angoisse. La correspondance de ce mois de janvier est essentiellement consacrée à prévenir les amis de cette arrestation qui le terrasse littéralement. Il explique sa situation, parle de sa sœur à tous et tente coûte que coûte de faire intervenir les puissants : Cocteau, Claudel, Fauchois dont il sait la relation intime à Guitry, Chanel, Misia Sert à laquelle il pense aussi mais c’est surtout à Guitry qu’il souhaite confier le lien le plus doux qui le rattache à sa famille. « Sacha quand on lui a parlé de ma sœur, a dit : « Si c’était lui, je pourrai quelque chose ! », on connaît ces lignes suivies du « Eh bien c’est moi »[i]  si sobre si émouvant si simple mais qui exprime toute la détresse au monde.

 

2. Un calendrier fatidique

Afin de mieux comprendre le déroulement des faits, nous avons choisi de présenter un calendrier précis des jours qui ont précédé l’arrestation du poète ainsi que le détail exact des différentes actions mises en œuvre pour tenter de le faire libérer. Il n’a pas été possible de citer toutes les lettres de Max Jacob qui ont précédé l’arrestation, nous avons choisi délibérément des extraits significatifs de certaines d’entre elles permettant de montrer l’état d’esprit du poète et l’environnement dans lequel il évolue.

 

Février (s.d.)

« NE VIENS PAS LETTRE SUIT » dépêche envoyée à Nino Franck restée sans suites.

Jeudi 4

Début de l’exposition nationale des Beaux Arts au Palais Galliéra (4 au 27 février). R. Toulouse expose Le poète à l’orchidée réalisé en 1942 lors du séjour-refuge de Max Jacob chez ses beaux-parents[ii].

Vendredi 12

Dernière lettre à Louis Guillaume : « un mal ne tue pas forcément quand on se bat avec lui. Je crois même le contraire. La victoire finit au bien. Il est même arrivé  que le fait de démasquer le mal l’ait tué. Surtout ! surtout ne pas s’y soumettre, ça, c’est la lâcheté, l’affaissement moral »

Dimanche 20

Promenade à la Basilique de Saint-Benoît avec les époux Béalu, le docteur Castelbon et l’Abbé Hatton : Jacob inscrit sur le livre des visites : Max Jacob 1921 - 1944[iii] .

Dimanche 20

Derniers clichés photographiques du poète réalisés par Marcel Béalu

Lundi 21

Dernière lettre à Roger Toulouse : « viens plutôt jeudi que vendredi ; j’ai ici le docteur Castelbon de Montargis jusqu’à vendredi soir ; il compte m’emmener à Montargis avec lui »[iv]

Mercredi 23

Max Jacob est invité chez le Docteur Durand à dîner : il dédicace quelques uns de ses livres

Mercredi 23

Début de nombreuses arrestations de juifs dans le Loiret. Max Jacob figure sur une liste de 18 noms. 63 juifs seront arrêtés en deux jours. Les allemands intensifient leur politique de déportation des juifs à l’est et constituent des convois d’un quota de 1 000 à 1 200 déportés. C’est une des raisons de la reprise des arrestations des juifs qui avaient été « tolérés » jusqu’alors et avaient échappé aux grandes rafles des années 1941-1942. Cette mathématique sordide « explique » le nombre d’arrestations très élevé et cette chasse immonde pour « fournir » 2 voire 3 juifs (Cf. : calendrier de la déportation de Klarsfeld) afin d’atteindre les quotas.

Jeudi 24

 

 

  • Aube[v] : Max Jacob se lève tôt afin de pouvoir écrire sa méditation quotidienne selon la discipline qu’il s’est imposé en suivant l’enseignement de St. François de Salles.
  • Entre 7 h et 8 h :  Max Jacob assiste à la messe (« la messe des oiseaux ») célébrée à la chapelle de l’Hospice de St. Benoît (actuellement la Mairie). Il reçoit la communion des mains de l’Abbé Hatton
  • 9 h / 10 h  : Max Jacob va chercher son courrier à la poste et croise le Docteur Durand, il a écrit ses dernières lettres : à Clotilde Bauguion datée par inadvertance terrible du 25/02 : « un grand ami à moi, mon protecteur est aussi en prison ! » [vi]
  • à 11 h[vii] : arrestation au domicile du poète par « 3 membres de la Gestapo d’Orléans ». Tout se déroule en 1heure, il y a peu de témoins présents. Castelbon donne son caleçon de laine, Mme Persillard un couvre lit. On rassemble quelques provisions. Le docteur Durand et l’Abbé Hatton voient une voiture suspecte mais ne s’alertent pas le poète « étant vérifié souvent ».
  • Castelbon « entasse dans sa voiture » des dessins et des gouaches sans trier dans la peur que les allemands s’approprient les affaires du poète. Il remettra ultérieurement à R. Szigeti l’Imitation de Jésus Christ offerte à Jacob par Picasso lors de son baptême. Il rédigera son témoignage « à chaud ».

Jeudi 24

  • Suite aux instructions de Max Jacob, Mme Persillard sa logeuse, le docteur Castelbon, Bernard Madre écrivent chacun à Conrad Moricand. Compte tenu des perturbations importantes du courrier à cette époque on peut estimer le délai de transmission de ces lettres à environ 3 jours.[viii]
  • Le Chanoine Fleureau dépêche l’Abbé Hatton qui part en vélo prévenir les Toulouse à Orléans (« le téléphone pouvait être surveillé »).
  • Roger Toulouse part immédiatement pour Paris solliciter l’aide d’Albert Buesche, critique d’art au Pariser Zeitung qui venait d’écrire un article sur un de ses tableaux exposé chez son marchand. Buesche fréquentait la galerie en voisin. 
  • Roger Toulouse prévient Jean Rousselot, commissaire de Police à Orléans, Marcel Béalu, Jean Denöel, André Salmon, Jean Cocteau.
  • Un gendarme prévient par une lettre anonyme pathétique le peintre Jean Boullet[ix]  (il s’agit du gendarme Henri Beauvais de Sully-sur-Loire).

 

Jeudi 24 après-midi :
Prison militaire d’Orléans 
(actuel Palais des Sports)

  • Max Jacob est incarcéré dans des conditions sordides. Il s’occupe des détenus et se dévoue auprès des malades, il tente aussi de les distraire fait des horoscopes et chante des airs d’opérettes dont le Petit Faust d’Hervé qui démontre s’il fallait encore le prouver que Max Jacob est d’une dérision inouïe pour interpréter en allemand ! le « ô Vaterland, ô vaterland » du dernier acte (témoignages de Georges Dreyfus et Jacques Naudet)[x].
  • Marguerite Toulouse se présente chaque jour à la prison militaire et tente de lui faire passer des vivres et des vêtements chauds, elle est éconduite par les officiers chaque fois.
  • Béalu, Rousselot préviennent chacun Jean Cocteau.
  • E.–M. Perrot prévient Henri Jadoux assistant de Sacha Guitry.
  • Béalu prévient A. Salmon, écrit à Cocteau qui répond : « je me suis mis en marche. Je ferai l’impossible ».

Vendredi 25

  • Journal[xi] de Cocteau : à propos de l’arrestation de Max Jacob : « chose atroce ».
  • Cocteau contacte Sacha Guitry, José-Maria Sert[xii], Georges Prade[xiii].

Samedi 26

  • S.O.S. de Max Jacob à Rousselot : « Préviens Cocteau »
  • Réunion chez Salmon : (présents : Toulouse, Moricand, P. Colle ?, Sauguet ?) on se répartit les tâches pour agir. Apparemment 2 voies sont privilégiées : la voie diplomatique via l’ambassade d’Allemagne (Abbetz) et la voie de la Gestapo (Rothke) qui échoit à Guitry et à Moricand.
  • Conrad Moricand dans sa lettre à Robert Szigeti du 23 mars 1944[xiv] confirme qu’ « il a été alerté  de tous côtés avec une diligence exemplaire », il téléphone « assez tard le soir » à Georges Prade qui a décidé de se rendre (ou de téléphoner ?)« le lendemain matin » à l’Ambassade d’Allemagne. On affirme à G. Prade que Jacob sera « placé à un régime de faveur, non pas dans le camp, mais en dehors dans une villa »

Dimanche 27

  • Toulouse et Béalu se rendent au domicile du poète et mettent à l’abri ses affaires dans sa malle qui sera déposée chez Castelbon à Montargis : un inventaire est dressé. Quelques effets sont aussi déposés chez son curé. Sur la table de travail se trouvent encore les travaux en cours : un portrait de Picasso, de Jarry, d’Apollinaire, de Verlaine et trois gouaches[xv]
  • Jean Cocteau « fait preuve de plus de cœur que je ne lui en ai jamais vu sur la main » note Roger Lannes dans son Journal 
  • Georges Prade, conseiller de Paris (familier de Darquier de Pellepois et Otto Abetz) veut faire parvenir une lettre à Von Bose, conseiller culturel à l’ambassade d’Allemagne. Il demande à Cocteau « une page de moi sur Max au chef qui s’occupe des prisons juives (ce chef m’admire paraît-il, et connaît Max )[xvi] ». Prade a anticipé la réception de cette lettre par Von Bose en lui téléphonant « Voici la lettre rédigée par Jean Cocteau (..) L’intéressé, comme je vous l’ai dit, est maintenant interné à Drancy).

Lundi 28

  • Matin : départ des déportés de la gare d’Orléans via Austerlitz pour Drancy.
  • Max Jacob écrit de brefs S.O.S. grâce à « la complaisance des gendarmes » : « lettre de naufragé » au Chanoine Fleureau son curé (« Je remercie Dieu du martyr qui commence »), à son frère Jacques (« prévenir Salmon et Pierre Minet »), à Cocteau « dans un wagon par la complaisance des gendarmes qui nous encadrent », à son relieur Paul Bonnet, à Conrad Moricand, à André Salmon (lettre non retrouvée mais transcrite par le destinataire dans ses Souvenirs, Picasso y est cité).
  • Max Jacob montre des signes de fatigue durant le voyage en train.

Lundi 28

  • Fin de matinée : Marguerite Toulouse se rend à la prison, les détenus sont déjà partis, elle se rend avec une femme de déporté qu’elle ne connaît pas à la Gestapo bd. Alexandre Martin et rencontre l’officier allemand M. Willy  qui se veut rassurant: « ne vous inquiétez pas c’est pour une vérification »
  • Rousselot reçoit la lettre de Max Jacob écrite le 26 surchargée des cachets de la censure. Il se présente à la prison, les détenus n’y sont plus.

Lundi 28

En fin d’après-midi, arrivée des 63 détenus à Drancy (le camp compte alors 2 261 internés). Max Jacob dépose au greffe du camp la somme de 5 520 francs et une montre en or. Jacob  porte le n° 15 872 et reçoit l’étiquette verte qui signifie son inscription sur les listes du prochain convoi pour Auschwitz (convoi n°69 prévu le 7 mars). Il prend sûrement conscience qu’il ne reverra pas sa sœur Myrté-Léa dont il connaissait l’incarcération à Drancy depuis son arrestation. On attribue à Max Jacob une paillasse au 4 ème ou au 2 ème étage escalier n°19. Drancy est à cette époque placé sous la responsabilité d’Alois Brunner depuis le 20 juillet 1943.[xvii

Mardi 29

  • Cocteau a rédigé la lettre demandée (« je dirai de Max Jacob que c’est un grand poète si ce n’était un pléonasme… »[xviii]. Cette lettre est remise à Von Bose, à l’Ambassade d’Allemagne, par Georges Prade qui l’accompagne d’une lettre personnelle associant Sacha Guitry à la démarche.
  • Prade ordonne à Picasso qui « s’est mis à sa totale disposition » de ne pas signer cette lettre «psychologiquement j’estimais que sa caution ne nous apporterait rien d’autant plus qu’il venait d’être inquiété »[xix] 
  • Cocteau rédige également une lettre-pétition qui aurait circulé dans Paris  (grâce à Paul Morihien son secrétaire) Est-ce un projet ? le premier jet de la lettre ci-dessus ? a t-elle été remise ? seule une photo est connue[xx]
  • Cocteau et Jouhandeau préviennent Gerhard Heller qui s’entretient notamment avec Otto Abetz « faites tout ce que vous pourrez faire ; moi je vous couvrirai après. » et téléphone à un membre de la Gestapo : « ce serait abominable de l’amener en Allemagne ; c’est un vieillard laissez-le en paix »
  • Heller écrit[xxi] « Nous avions joué de malchance ; il y avait eu tellement d’interventions d’amis auprès de l’ambassade, de l’Institut allemand, du SD lui-même qu’on l’aurait sans doute relâché et il serait venu mourir paisiblement à St Benoît sur Loire ». Heller est le seul à ce jour a indiquer qu’il n’y a pas eu d’acte de libération officiel.
  • Roger Toulouse est confiant, dans une lettre à Béalu il évoque son contact avec A. Buesche et deux « éléments importants du côté Moricand-Salmon »

Date inconnue

Pierre Colle et Henri Sauguet intercèdent sans succès auprès de Picasso au restaurant Le Catalan

Date inconnue

Admission de Max Jacob à l’infirmerie du camp 

Samedi 4 mars

Lettre d’A. Buesche à Toulouse : « J’ai fait la démarche dont je vous avais parlé et on m’a dit que votre ami à bonne chance »[xxii] 

Dimanche 5

  • Max Jacob entre en agonie :  sereine selon certains témoignages, agitée selon d’autres. Il meurt à 21h d’une pneumonie et collapsus cardiaque.
  • Conrad Moricand écrit à Théophile Briant : « mardi matin (le 7 donc) à 8h je me fous à l’eau à mon tour en allant voir le Hauptsturmfürher Rodje (Rothke), 82 avenue Foch » dans sa lettre à Robert Szigeti du 24 mars 1944 il confirme que malgré 4 appels téléphoniques sa demande est toujours en instance de RdV auprès du Röthke « un des plus grands rouages pour ces questions là » et qu’il a demandé à Salmon de lancer une « requête des milieux littéraires » à adresser au général von Stülpnagel (est-ce la lettre pétition de Cocteau ?). 
  • Conrad Moricand toujours dans la même lettre évoque « la monnaie d’échange qu’il va falloir envisager » sans plus de précisions connues à ce jour. Quel aurait été le terrain d’entente entre les allemands et les français ? Contre quoi ou contre qui Jacob  aurait pu être échangé ? d’où serait venu l’échange ? de Vichy ? des réseaux de Moricand ? aucune piste concrète n’a été trouvée du côté du Commissariat aux Questions Juives, intermédiaire obligée dans ces questions. 
  • R. Toulouse reçoit un appel téléphonique (émetteur inconnu à ce jour) encourageant et prévient le curé Fleureau de la libération prochaine de Max : l’idée d’une réception se prépare au presbytère de Saint-Benoît.

 Lundi 6 

  • Sacha Guitry et Henri Jadoux sont reçus par un officier allemand (non identifié) des services de Knochen (Gestapo).
  • Von Bose fait suivre la lettre de Cocteau pour « raison de compétence » à M. le Conseiller d’Ambassade Klingenfuss[xxiii]. Van Bose ajoute une courte note : «  Max Jacob que je connais en tant que poète est  mi–juif, mi–breton » et signe 6.3.B. (6 mars Von Bose)
  • Déclaration du décès de Max Jacob par « les autorités du camp de Drancy » à la mairie de Drancy[xxiv]
  • Enregistrement de l’acte de décès au commissariat de police de la circonscription de Pantin (n° de répertoire 5146) transmis par télégramme au Parquet de la Seine et autorise le transfert du corps à l’Institut Médico-légal.

Mardi 7

  • Départ du convoi n°69 pour Auschwitz- Birkenau : 1 501 juifs dont 178 enfants de moins de 18 ans; 1 311 déportés gazés, 34 survivants en 1945 dont 14 femmes.
  • Paul Léautaud note dans son journal « Paulhan nous annonce que Max Jacob vient d’être relâché. (Il avait donc été arrêté ?) »
  • « la libération de Max Jacob est signée » (lettre de Béalu à Jacques Mezure du 6 avril 1944)[xxv]
  • La brigade de gendarmerie de Gien est informée de l’arrestation de : « Max Jacob (juif) arrêté le 24 février motif ignoré » (certificat établi par le capitaine Guisiano le 15/03/1944)[xxvi]
  • Visa du parquet de la Seine sur la déclaration de décès.

Vendredi 10

Le père Arsène note dans son Journal que M. Requin « donnant nouvelles d’après Salmon « régime d’à côté » (cf samedi 26 février réponse à Prade)[xxvii] 

 Samedi 11

  • Toulouse téléphone au Père Arsène à St Benoît annonçant la libération de Max Jacob. Le groupement paroissial des Hommes prépare l’accueil du poète et se cotise pour lui acheter un cadeau (lettre de l’abbé Fleureau à Jacques Mezure du 5/04/1944)[xxviii]
  • Max Jacob est inhumé au cimetière d’Ivry s/Seine 44°division, 24°ligne depuis la Croix Geoffroy, 27° fosse par l’Union Général des Israélites de France chargé des décès à Drancy.

Lundi 13

  • L’avis de décès arrive à la mairie de St. Benoît, le Maire prévient A. Salmon, J. Rousselot, le chanoine Fleureau qui prévient Béalu. Le Docteur Durand prévient les Toulouse
  • 22 heures : Prade téléphone à Cocteau la libération de Max Jacob.

Mardi 14

Cocteau note dans son Journal la mort de Max Jacob, Salmon prévient Pierre Colle.

Vendredi 17

Béalu, Toulouse, Rousselot font dire une messe à St. Benoît à la mémoire du poète.

Vendredi 17

Article nécrologique haineux dans Paris-Midi, p.2

Samedi 18

Première messe à St. Roch en présence d’un petit nombre d’amis sont présents : Picasso, Derain, Reverdy, Moricand, Corpus Barga, Louise Leiris

Dimanche 19

  • « Le désir attrapé par la queue » lecture de la pièce de Picasso chez les Leiris sous le portrait de Max Jacob à la Ingres qui rejoindra les cimaises de Dora Maar jusqu’à la mort de celle-ci.
  • Pierre Colle se rend au cimetière avec Henri Sauguet et installe une croix sur la tombe. (Georges Prade s’était rendu à Drancy pour connaître le lieu de la sépulture)

Lundi 20

Entrefilet nécrologique haineux (p. 4) dans Paris-Soir, L’oeuvre (p.2), Le Petit Parisien (entrefilet p.2)

 Mardi 21

Deuxième messe à St. Roch, sont présents : Picasso, Dora Maar, Jean Grenier, André Salmon, Pierre Colle, André Derain, Georges Braque, Pierre Reverdy, Paul Eluard, Henry Sauguet, l’Abbé Morel, Pierre Minet, Jean Paulhan, François Mauriac, Coco Chanel, Roger Lannes,  Misia Sert, Nino Frank « en tout 50 à 60 personnes ». Un officier ou sous-officier allemand assiste à la messe (identité inconnue) cf. lettre de Moricand à Szigeti du 24 mars. Ce témoignage n’est corroboré par aucun autre.

22 ou 23

  •  P. Colle se rend à St. Benoît et donne au curé les fonds nécessaire pour dire une messe tous les 5 du mois pendant 10 ans.
  • Georges Prade « qui s’est démmerdé tant à Drancy qu’à St Benoît, a trouvé un texte de Max stipulant qu’il désirait être enseveli près de la basilique »(lettre Moricand-Szigeti). Le transfert de son corps ne pourra être fait qu’en mars 1949.

Vendredi 24

« je dois à la vérité de reconnaître que le clan Cocteau, Salmon, Guitry et Sert s’était si bien démené que la signature de l’élargissement de Max, obtenue 20 jours exactement après son arrestation (donc le 15) , peut lui être attribuée aussi bien qu’à nous-mêmes. Les autorités allemandes se sont inclinées devant un tel faisceau de sympathies, d’émotion et d’interventions conjuguées » lettre de Moricand à Szigeti.

À ce jour il n’existe aucune preuve formelle d’un quelconque ordre de libération. Alois Brunner n’a signé aucun ordre d’élargissement du camp de Drancy, il n’existe aucune trace de correspondance entre Klingenfuss et le Commissariat aux Questions Juives ou même Vichy toujours consulté dans des affaires identiques. Aucune trace non plus d’un document de libération dans les archives de la préfecture de la Seine. Von Bose n’a pas pris la décision lui-même de libérer Jacob et en tout état de cause il instruit le dossier le lendemain de sa mort, il n’a de lui-même émis un ordre de libération direct qu’en 1941 pour 6 avocats juifs « pour des raisons professionnelles et de politique antisémite » (centre de documentation juive). La lettre transmise par Von Bose apparaît comme le début de la procédure de recevabilité de la libération hypothétique de Max Jacob.

Comment expliquer alors cette confusion autour de la nouvelle de la mort de Jacob ? est-ce en partie explicable en raison de la tension importante qui opère des glissements de sens ? de « les choses sont en bonne voie »  à « il est libéré ? »

Dimanche 26

L’Abbé Morel bénit la tombe de Max Jacob à Ivry en présence de Pierre Colle, Georges Prade, André Salmon et Henri Sauguet

Avril

Les lettres Françaises : articles de Michel Leiris et de Paul Eluard. Ce dernier évoque également la mort de Saint-Pol Roux et le drame du manoir de Camaret.

Samedi 8

Classement des archives Jacob à l’ambassade d'Allemagne ?

Octobre

Cocteau écrit dans son Journal "je me suis offert à la Gestapo pour qu'on m'y emprisonne à sa place" (à Drancy)  (p. 569)

25 novembre

  • Les Lettres Françaises pp. 1 et 5 : article d’Aragon Retour d’André Gide. Aragon fustige Claude Morgan au sujet de l’adhésion d’A.Gide au CNE, Aragon évoque la vivacité de « la pensée comprimée » qui ne peut disparaître devant l’atteinte à la liberté d’expression parmi ceux qui sont la « pensée comprimée » M. Jacob, Marc Bloch, Crémieux, St Pol Roux (p. 1079 A. Gide/ Jean Schlumberger NRF Gallimard)
  • René Fauchois, dramaturge, homme de lettres, contacte l’UGIF

1er décembre

René Fauchois reçoit de l’UGIF les papiers personnels de Max Jacob remis à la BNF en 1964 par les enfants de R. Fauchois après son décès (BNF, dépt. Arts du spectacle, 4° Coll. 39 (122) 1 et suivants).

Octobre 1951

Journal de Jean Cocteau [xxix]à propos de Max Jacob « j’ai sa dernière lettre. Il me l’avait écrite du train qui l’emmenait à Drancy et confiée à un garde-mobile. Un collaborateur craintif et qui voulait se pré-blanchir l’a sauvé mais trop tard, il était mort ». Il s’agit sans aucun doute dans l’esprit de Cocteau de Georges Prade.

 

3. Bibliographie :

Max Jacob – Picasso, R.M.N., 1994, commissaires de l’exposition Hélène Seckel et André Cariou

Journal 1942-1945 Jean Cocteau, NRF , Gallimard

le Passé défini, Jean Cocteau, NRF, Gallimard

Max Jacob est arrêté. Une amitié fidèle au-delà de la mort, Jean-Louis Gautreau,  Revue des Amis de Roger Toulouse n°4 et 5, association des amis de Roger Toulouse

L’Amitié, lettres à Charles Goldblatt, édition établie et présentée par A. Roumieux, éd. du Castor Astral, 1994 

Arrestation et mort de Max Jacob, Lina Lachgar éd. de la Différence, 2004 

Candide témoignage de Julien London

Vie et Mort de Max Jacob P. Andreu, Table Ronde, 1982

Un allemand à Paris, Gérhard Heller, éd. du Seuil, 1981

Des laissez-passer de soi ou le portefeuille introuvable : le fonds René Fauchois Patricia Sustrac article à paraître dans Les Cahiers Max Jacob n°8.

Max Jacob tel que je l’ai connu par Jacques Mezure, texte inédit à paraître dans Lettres et Mots

Centre De Documentation  Juive Carnet de fouille p. 68, fiches des camps de Drancy pour Myrté-Léa Lévy et Max Jacob.

Le Figaro, 1982

Max Jacob le poète pénitent de St Benoît sur Loire, document du Val d’Or 1945.

Max Jacob à Drancy ou l’ultime vision du poète, Pierre Favre, dans Europe, août-septembre 1994, n° 784-785

Lettres à Roger Toulouse, édition des Cahiers Bleus, édition établie et annotée par Christine Van Roger Andréucci et Patricia Sustrac, 1992 

Max Jacob le poète pénitent de St Benoît sur Loire, document du Val d’Or 1945

Pour les cinquante ans de la mort de Max Jacob à Drancy, 1944-1994, numéro spécial 1993 librairie Bleue, Troyes.



[i] Max Jacob à Jean Cocteau Correspondances présentée et annotée par Anne Kimball, éd. Paris Méditerranée, 2000. Dernière lettre à Jean Cocteau du 29 février 1944, p.600

[ii] Se reporter à Cahiers des Amis de Roger Toulouse n° 4 et 5

[iii] Il s’agit de la deuxième inscription sur ce registre la première datant du 9 août 1936 lors de la visite de Roger Lannes, Pierre Lagarde, Jean Oberlé et de Jean Fraysse (cf. Max Jacob Les propos et les jours, correspondance rassemblée par Annie Marcoux et Didier Gompel-Netter, éd. Zodiaque, 1989, p.511)

[iv] Lettres à Roger Toulouse, correspondance présentée et annotée par Christine Van Rogger-Andreucci et Patricia Sustrac, Librairie Bleue, 1992, p.100 

[v] On peut se reporter aux descriptions de son emploi du temps par exemple dans les lettres à Robert Levesque Une amitié de Max Jacob, éd. Rougerie, 1994, pp.26 à 28

[vi] Max Jacob parle à plusieurs reprises de son ou de ses protecteurs. Il est sans doute probable que Paul Petit, membre de la NRF,  diplomate de carrière qu’il avait rencontré en 1925 ait été un temps l’un deux. Paul Petit fut arrêté le 7 février 1942, condamné à mort en octobre 1943 pour avoir publié un journal clandestin « et publié des tracts qui  avaient beaucoup influencé les milieux intellectuels dans un sens hostile à la politique de collaboration » il sera exécuté le 24 août 1944. (cf. Résistance spirituelle, Paul Petit, éd. Gallimard, 1947). Il est également possible que Conrad Moricand puisse avoir été également un de ses protecteurs. Cependant à cette date Moricand n’est pas en prison,  nous ignorons à ce jour de qui Max Jacob veut parler.

[vii] Note de renseignements, rapport de police transmis en appui au dossier de demande de classement « mort pour la France », 28 novembre 1960, Archives du Ministère de la défense, direction de la mémoire du patrimoine et des Archives. Ce rapport indique que les « allemands étaient déjà venus à deux reprises pour l’arrêter mais à chaque fois M. Max JACOB avait réussi à se cacher ».

[viii] Cf. rapport préfectoraux physionomie de la période des mois de  janvier- février- mars 1944, source  AJ41 18 ; Institut d’Histoire du Temps Présent

[ix] Lettre publiée dans Temps Présent, 8ème année, nouvelle série, 8 sept. 1944, pp 4 et 5. On ne connaît aucune action significative de Jean Boullet dans cette affaire. On peut s’étonner également de l’envoi de cette lettre anonyme à une relation de Jacob très éloignée du cercle étroit de ses amis. Il n’a pas été possible de retrouver la famille de ce gendarme  qui aurait pu sans aucun doute nous aider à comprendre comment l’adresse de Jean Boullet lui était connue

[x]  L’ironie est une affaire de famille chez les Jacob ! qu’on en juge par les propos que rapporte Jean Graal dans Carnets 1938-1944-extraits Juin à Décembre 1940, éd. Centre Culturel Quimpérois, 2004, pp 50 et 51 : « Le vieux JACOB (Gaston), l’antiquaire de la rue du Parc dont la famille habite là depuis un siècle, vient d’être frappé. Un papier collé sur la vitrine indique « JUDE ». L’entrée du magasin est interdite aux soldats du Reich. Le propriétaire comme s’il voulait tenter une ultime résistance avait écrit en grand sur la glace : « Gros Rabais - Fin de saison ». Il annonce maintenant : « Liquidation-Profitez des derniers jours ».

[xi] Journal de Jean Cocteau 1942-1945, texte établi, présenté et annoté par Jean Touzot, éd. Gallimard, 1989, p. 481 et suivantes

[xii] José-Maria Sert est un peintre très engagé dans la collaboration avec les allemands. Proche du régime franquiste il fut nommé ambassadeur d’Espagne auprès du Vatican. Il entretenait également une liaison avec la femme de l’ambassadeur d’Allemagne en Espagne. Misia Sert, son épouse, affirme dans la biographie éponyme que lui consacrent Arthur Gold et Robert Fizdale (Gallimard, 1984, pp. 341 à 343) qu’elle lui montra la lettre de Max Jacob dans laquelle il la presse d'’ntervenir pour sa sœur  Cette lettre non datée par le poète a du être écrite circa le 20 janvier. « Dès que je fis part à Sert de cette lettre, (…) il mit immédiatement en branle toutes les influences qu’il était capable de faire jouer. Hélas, le pauvre Max fût traîné à Drancy et l’ordre de libération que Sert finit par obtenir arriva trop tard. » Misia Sert rapproche des faits éloignés dans le temps. De cette lettre tragique il est impossible d'’inférer l'’arrestation du poète qui aura lieu 1 mois plus tard. A ce jour aucune preuve concrète d’un avis de libération que Sert aurait pu obtenir pour Jacob.  Les recherches sont restées vaines.

[xiii] Georges Prade était conseiller municipal de Paris et secrétaire général du journal Les Nouveaux Temps, il était devenu un admirateur de Cocteau après l’avoir violemment attaqué à l’époque de la première de Les Parents Terribles.

[xiv] archives Association des Amis de Max Jacob.

[xv] Hélène Henry a consulté à la BNF l’exemplaire de La Côte que Paul Bonnet vint chercher au domicile du poète qui travaillait avant son arrestation à une besogne d’enluminure de son ouvrage pour le célèbre relieur. Paul Bonnet a inséré dans l’ouvrage la lettre de Jacob du 13 janvier 1944 dans laquelle il lui annonce des dessins bretons en cours. A Raphaël Arnal  le 10 février 1944 (Les amitiés et les amours, tome III, éd. Le Petit Véhicule, 2003) Jacob écrit « j’illustre « La Côte » recueil de poèmes bretons. Dix dessins ! chacun est étudié passionnément. (…) Tout cela n’est payé que mille francs, mais peu importe. » Il n’existe que 4 dessins et on peut constater leur inachèvement  progressif ; la première est bien terminée, puis la couleur diminue pour la 2e et la 3e pour la 4e « paysage » (Sainte Marie du Ménez Ham) n’existe que le dessin.

[xvi] Journal de Jean Cocteau ,o.c. p. 481.

[xvii] Assassin jugé et condamné à perpétuité à Nuremberg on estime à 147 000 juifs le nombre des déportés par Brunner : il est responsable du massacre et de la déportation de  47 000 juifs autrichiens, 43 000 juifs grecs, 25 000 juifs à Drancy. Il fut impliqué dans la rafle des enfants d’Izieu. Réfugié en Syrie en 1954, condamné par deux fois par contumace, il y vit probablement encore, l'Autriche offre une prime pour sa capture (Cf. : Le Monde 23/07/2007).

[xviii] document photographique conservé à Politisches Archiv des auswärtigen Amts à Bonn, original non localisé. Cette lettre n’est pas à confondre avec la pétition rédigée par Cocteau (cf. note 20)

[xix] Cf. Le  Figaro 19 mars 1982 : « Picasso réhabilité ».

[xx]archives de Bonn, original non localisé ne permettant donc pas de connaître les signataires. Il existe également une copie de cette lettre-pétition dédicacée à « mon cher Georges Prade, Jean Cocteau, 1944 » dans le fonds Cadou (Centre René-Guy Cadou à Nantes).

[xxi] Gerhard Heller éditeur francophile et francophone fut affecté au service de la Propaganda-Staffel de 1940 à 1944. Il a livré ses souvenirs sur le Paris de l’Occupation dans Un allemand à Paris Paris, le Seuil, 2001, pp. 181 à  184. Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne et Heller étaient des amis très proches. Hélène Seckel dans Max Jacob Picasso (RMN, 1994, année 1944) met en doute  les propos d’Heller avec raison. Cependant, selon Antoine Spire, alors directeur de collection au Seuil, à l’origine du projet de publication des souvenirs de Heller et  qui eut l’occasion de s’entretenir de nombreuses fois avec Heller, ses propos peuvent être considérés de manière générale comme dignes de foi. Si on admet ce témoignage comme véridique on peut constater en revanche que l’action d’Heller restera très isolée (est-ce la débacle des forces d’occupation qui précipitent le départ) il n’y a pas de « retour »  des actions d’Heller auprès de Cocteau ce qui ne permet pas de croiser les  sources

[xxii] o.c. p. 101.

[xxiii] responsable de la déportation et des massacres des juifs roumains en 1942.

[xxiv] Arrestation et mort de Max Jacob, Lina Lachgar, éd.de la différence, 2004, p.66

[xxv] archives de l’AMJ

[xxvi] cf. note 7

[xxvii] archives de l’AMJ

[xxviii] archives de l’AMJ

[xxix] le passé défini (T.1 p.62)